Quatrième volet de la suite de posts sur Sagawa sensei.
En dehors des grands thèmes, on trouve dans le livre quantité de petites remarques très intéressantes, amusantes. Elles dessinent un portrait assez savoureux de Sagawa sensei, à la fois ironique, caustique, fataliste, plein de passion. Sans doute un rien solitaire.
J'encourage vraiment à le lire. Les premiers articles tombaient sous le sens, en suivant le plan du livre: la "définition" de l'aiki, l'entraînement shugyo sont les deux pans majeurs du livre.
Un des aspects un peu caché de ce livre réside dans de toutes petites phrases qui mises bout à bout deviennent intéressantes (à moins qu'elles ne trouvent un écho dans mes préoccupations du moment ;-) et qui concernent l'enseignement et le combat, deux thèmes d'apparence éloignés mais intimement liés.
Il faut bien noter que tous ces aspects sont connectés dans l'esprit de Sagawa sensei: l'entraînement, l'aiki, le combat, l'enseignement sont autant de facettes d'une vie: on ne les distingue que par commodité. Le professeur apprend, continue à progresser mais ne peut être professeur que parce qu'il a atteint un nouveau suffisant par son entraînement, etc. La transmission, l'enseignement.
On ne retrouve pas chez Sagawa sensei une "méthode" commune à de nombreux experts qui considèrent que l'apprentissage consiste essentiellement à répéter un geste jusqu'à temps que l'individu l'habite de l'intérieur.
On ne peut se cantonner à reproduire la forme, il faut faire l'inverse:
Quand vous mettez une bonne dose de travail dans la substance plutôt que dans l'apparence alors le résultat est une belle forme.
Même si pour lui expliquer ne sert pas à grand chose:
Traditionnellement un sensei ne faisait que montrer. Il ne vous aurait jamais pris la main pour vous enseigner. C'est pourquoi chacun s'entraînait désespérément et essayait d'absorber les leçons.
C'est à l'élève de travailler. Ce qu'on appris par soi-même est appris pour toujours.
Le professeur (ou sensei si vous êtes puriste) n'est pas là pour expliquer mais pour montrer.
Peut-être est ce parce que je vous en montre trop que vous ne pouvez devenir compétent.
On rejoint le propos sur l'entraînement: personne ne peut faire les sacrifices à votre place, personne ne peut vous épargner le travail, vous devrez d'une certaine façon vous accomplir seul. Cette culture est fortement imprégnée de yoga et de bouddhisme: l'être doit se révéler à lui-même, l'individu doit devenir sa propre oeuvre.
Enseigner n'est pas insignifiant pour Sagawa sensei qui répugne à divulguer ses secrets et d'abord pour des raisons pratiques…
Garder ce bujutsu secret en sauvegarde la force. Il est totalement différent des autres arts parce que nous savons quelque chose que les autres ne savent pas. SI vous enseignez à tout le monde alors les étrangers auront un avantage naturel.
Vous devez comprendre ma répugnance à divulguer quelque chose que j'ai acquis au prix d'un travail dur et obsessionnel.
Quand on parle de combat réel, vous ne pouvez vous offrir le luxe d'en révéler trop par votre enseignement. Nous pouvons battre des hommes forts (big people) parce que nous avons un secret que les autres n'ont pas.
C'est raisonnable de conserver quelques secrets. Si vous ne possédez pas quelque chose d'unique, alors vous serez battus. Vous devriez même vous entraîner en secret et n'en parler à personne.
Arrivé à 90 ans, j'ai finalement décidé d'enseigner ce que je sais. (lisez le livre pour savoir pourquoi ;-)
Enseigner pour lui est une démarche profonde, impliquée:
Je crois que la nature fondamentale d'une personne ne change pas, c'est pourquoi je refuse d'enseigner à quelqu'un qui a une mauvaise personnalité.
Ma méthode d' enseignement ne me permet pas d'enseigner à des foules. Je ne peux enseigner à des multitudes sans me compromettre de multiples façons.
Enseigner, transmettre est un engagement considérable pour Sagawa sensei qui a sans doute consacré beaucoup de réflexion au problème. Sa conclusion est dure mais en définitive assez compréhensible: on ne peut enseigner si l'élève n'est animé d'un désir profond, s'il n'a pas entrepris une quête.
L'élève doit apprendre de lui-même, désirer et chercher avec acharnement. Le travail de fou de formation du corps est en soi un défi pour l'esprit. Les épreuves, la douleur physique et mentale, les blessures: le budo est un voyage que l'on entreprend pour soi-même (l'opinion des autres personnes n'est pas pertinente / irrelevant) avec des compagnons de route et des anciens qui connaissent une partie du chemin.
Le bujutsu n'est pas quelque chose qu'on peut seulement vous apprendre. Vous devez le saisir et le capturer pour vous-mêmes (pour le garder). Vous devez réfléchir et développer quelque chose qui vous est propre.
Ceci lui fait avoir des mots assez durs pour les élèves passifs et les bornés. Mais au fond on sent qu'une seule chose l'irrite: la passivité, l'absence de désir.
Globalement, cette vision est à mon sens très proche de celle d'O sensei qui a laissé faire bien des choses et bien des gens dénaturer ses techniques à tel point qu'un jour, s'énervant très fort de ce qu'il avait vu à Tokyo, il envoya Saito sensei enseigner le dimanche matin. Il a laissé les gens aller vers leur destin, confiant sans doute à Saito sensei le soin d'élaborer une méthode. Il savait que quelque chose passerait car quelque chose passe, passera toujours.
La dureté de cette méthode qui voit peu d'élus réussir (au passage) possède pour mérite de bien préparer au but de tout entraînement: le combat ou l'absence de combat, l'épreuve, Alcor, bref LE moment.
Stratégie(s) et combat
Existe t-il une stratégie selon Sagawa sensei ? Pas de façon explicite au sens où il préconiserait telle ou telle action (en dehors des quelques conseils sur le relâchement - pour le reste, il faut apprendre le curriculum de l'école Daito…). Il s'agit plutôt d'une attitude mentale qui prend sa source dans l'entraînement.
Evidemment il ne regrette pas ses jeunes années de bagarreur:
Je suppose que vous pourriez dire que j'étais fou cinglé quand j'étais jeune. Vous devez l'être et devenir graduellement plus sensé (raisonnable) quand vous vieillissez.
Mais bien au-delà, une fois dépassé ce stade infantile, il s'agit d'affermir l'esprit, de le conditionner comme on conditionne son corps, l'un et l'autre allant de concert. D'abord ne s'autoriser aucune faiblesse, non par forfanterie ou déni mais parce que l'entraînement commence là et cette attitude apporte de nombreux bénéfices.
Nous avons tous peur de quelque chose. Le fait de ne jamais l'exprimer nourrit / cultive votre esprit. Si vous dites que vous ne pouvez pas faire quelque chose, vous tendrez à accepter ce fait et vous perdrez votre vigueur mentale. Vous devriez avoir la force de serrer les dents et persister. Cela s'appelle Yamato-damashii, l'esprit Japonais.
Nous avons tous des faiblesses, vous devez les surmonter, les supporter et vous empêcher de les laisser s'exprimer. Seul un idiot (a fool) ne reconnaît pas ses vulnérabilités mais vous ne devez jamais les annoncer. Si vous ne pouvez pas les endurer jusqu'à la mort, vous ne serez pas en possession de votre puissance.
Mon intention brûlante de n'être jamais vaincu m'a permis de persévérer avec mon entraînement solitaire et tortueux. Vous devez vous dire que vous ne laisserez jamais quiconque vous battre, ensuite vous devez appuyer cette conviction avec l'entraînement.
Les formes de vos techniques doivent être armées de votre intention de défaire votre adversaire.
Ensuite, Sagawa sensei énonce ce qui semble une évidence mais qui conditionne tout le reste: il faut être prêt à chaque instant. Au fond le budo est l'inverse du sport. Au lieu de s'entraîner pour être prêt un jour donné, on s'entraîne pour être prêt n'importe quand.
Peu importe ce qui se produit, peu importe l'homme fort qui se présente, vous devez être préparé à la bataille avec le pouvoir de l'esprit et un corps conditionné. Vous ne savez pas ce qui va se passer alors il n'y a pas de place pour l'orgueil ou la fierté.
Soyez prêts au combat à n'importe quel moment. Vous devez être capable d'entrer dans le combat sans effort et avec un esprit calme. Cela ne devrait paraitre une affaire importante.
Et cette capacité à accepter l'instant est entièrement et exclusivement une force de l'esprit, nourrie par le travail corporel, émotionnel, rationnel. (Très franchement, je ne sais pas ce que veut dire le mot spirituel alors je l'utilise, faute de mieux, pour traduire spirit mais le mot de mental me convient bien aussi).
Si vous accumulez beaucoup de pratique / d'entraînement alors dans un vrai combat vous n'aurez aucune peur. Peu importe combien s'entraîne une personne au coeur faible, dans la chaleur du combat, elle sera sans espoir. Quand arrive l'heure du vrai combat, il s'agit de couper ou d'être coupé. Si vous êtes timide vous serez coupé dès le départ.
A la fin toute est affaire de pouvoir (power, pouvoir, puissance) spirituel, (de l'esprit / mental), vos actions refléteront le reflet de la force de votre motivation… dans le combat la force de l'esprit est cruciale.
En définitive, tout se résume à une bataille entre des âmes (et non deux âmes, ce qui est réducteur, notamment en nombre…).
Votre technique et votre esprit ne doivent faire qu'un. La technique doit être effectuée avec du pouvoir spirituel, à la fin tout est histoire de puissance spirituelle (de l'esprit, du mental).
C'est vraiment comme la pratique d'un art qui crée la vie de l'esprit
Cela dit la technique est tout de même fondamentale:
Peu importe à quel point l'esprit est fort, peu importe à quel point vous vous êtes préparés à rencontrer votre mort, si vous n'avez pas de technique, vous ne réussirez qu'a vous faire tuer.
L'esprit nait dans la technique, si la technique n'est pas bonne alors le coeur non plus.
On rejoint ce qu'il ne cesse de répéter à propos de la technique et de l'entraînement: répéter une forme absurde ne sert à rien. Et pour cela prenez les choses au sérieux, semble t-il dire.
Dans mon dojo on pratique pour le combat réel et rien d'autre. Vous ne devez pas vous entraîner avec l'attitude que vous ne faites que pratiquer. Pensez en termes de combat réel.
Ce qui implique de toujours progresser, toujours chercher. Petite pique au passage:
A la différence des écoles d'aikido, dans mon dojo, vous ne pourrez plus continuer à projeter les débutants si vous ne continuez pas à progresser.