Des mains évidemment puissantes...
Deuxième partie tout entière consacrée à la définition de "aiki" selon Sagawa sensei
Encore une fois je recommande vraiment d'acheter ce livre car la lecture permet aussi aux mots "d'infuser".
J'opte volontairement pour une traduction très littérale car du Japonais à l'anglais, la traduction a déjà du faire des ravages, inutile d'en rajouter. La traduction du japonais au français va donc être un tour de force.
- L'aiki donc…
D'abord la définition selon Tatsuo Kimura, en première page du livre.
Une technique effectuée par l'harmonisation de l'énergie qui surpasse les autres techniques utilisant la force et la manipulation des articulations. Avec une compréhension profonde de Aiki, il est possible pour une petite fille de défaire un homme fort.
Sagawa sensei ne cache pas la difficulté, voire l'impossibilité d'expliquer ce qu'est l'aiki (on se demande parfois s'il ne prend pas un malin plaisir à repousser les étudiants ou les aspirants… plus sûrement il a dépassé la langue de bois ou commerciale).
On sent même parfois une sorte d'élitisme un rien cynique, d'autres diraient nourris par l'expérience: une personne stupide ne peut absolument pas faire aiki ( to do aiki)...
Même pour les talentueux, il est impossible de faire cela avant 20 ou 30 ans. Et pour ceux sans talent c'est absolument impossible.
... No comment.
Sagawa sensei mentionne plusieurs fois que les explications orales lui semblent inutiles. On reconnait là un classique de l'enseignement traditionnel. Mais il ne s'agit pas d'une défiance par rapport à tout enseignement ou toute pédagogie, il s'agit seulement pour lui de la conséquence naturelle d'un fait bien simple: très rares seront les élus. Comprendre et maîtriser l'aiki sera le privilège de quelques happy few...
D'un autre côté il ne ménage pas ses efforts et comme il le dit lui-même, enseigner c'est finalement donner des indices. Mettons-nous sur la piste.
Sagawa sensei passe un temps considérable à expliquer l'aiki et ce qu'il n'est pas.
Il est courant de lire un peu partout que les mots en budo ne servent à rien. Ce qui tendrait à signifier que si les mots sont impuissants alors la pensée qu'ils expriment ne sert aussi à rien. Or, au fond Sagawa sensei dit strictement l'inverse à son élève: selon lui il faut penser, il faut ré-flé-chir.
Sagawa sensei nous donne d'ailleurs une sorte de chemin, presque un mode d'emploi, bien loin d'une exploration indicible et informulée.
Certes l'étincelle initiale n'est pas de l'ordre du verbe mais de la sensation:
L'aiki n'est fondamentalement pas quelque chose que vous pouvez apprendre en écoutant quelqu'un vous l'expliquer. C'est quelque chose que vous devez saisir de vous-mêmes en pensant à la sensation quand vous êtes projeté avec l'aiki et faire devenir lentement vôtre.
L'aiki demande un éveil, une épiphanie.
Parce qu'il est une inspiration, un génie peut le comprendre immédiatement alors que ceux qui ne sont pas très brillants auront le plus grand mal quels que soient leurs efforts. On ne peut pas enseigner aiki.
On peut donner des indications mais on ne peut l'expliquer oralement.
Ensuite tout est travail et réflexion personnelle, tout est pensée et effort.
Sagawa sensei passe un temps considérable à expliquer que cette découverte initiale doit ensuite être étayée, travaillée, explorée durant toute la vie. Car un peu paradoxalement:
C'est pourtant quelque chose que tout le monde peut réaliser si vous comprenez le principe et que vous entraînez pendant des décennies.
Et ceci demande un travail conscient:
C'est notre cerveau qui nous rend supérieurs aux animaux. A la racine de tout progrès se trouve le désir d'évoluer, de grandir.
Le vrai progrès n'est possible qu'en réfléchissant et en reconsidérant (remettant en question, en cause) l'art et les techniques. Il est important d'analyser continuellement, sans relâche..
Le secret est de toujours toujours continuer à réfléchir. La raison pour la quelle les gens ne deviennent pas efficaces ou ne deviennent pas forts est qu'ils ne contemplent pas. La réflexion doit devenir partie intégrante de votre vie.
Le budo n'est pas indicible, il n'est pas (que) pure sensation physique: il est aussi affaire de pensée, de réflexion. Si on écoute Sagawa sensei, la réflexion est même un moteur fondamental.
L'absence de réflexion est pour lui la source de tous les maux:
Votre problème est que vous ne pensez pas par vous-mêmes, vous voulez qu'on vous enseigne. Peu importe à quel point on vous enseigne, vous oublierez tout très vite. Mais quelque chose que vous avez acquis par vous mêmes et avez lutté pour obtenir restera en vous, vous ne l'oublierez jamais. En d'autres termes enseigner n'est rien de plus que de donner les bons indices. L'étudiant doit comprendre par lui-même.
Il répète ce fait à l'envi: il a atteint son niveau en allant jusqu'au bout de la réflexion, en utilisant toutes les ressources de son esprit. Et bien souvent il utilise le mot comprendre et non pas saisir ou voler la technique:
bien des nuits je suis resté éveillé, réfléchissant en profondeur.
Et de la connaissance naît d'ailleurs des opinions bien tranchées...:
Quand vous parviendrez à comprendre aiki, aussitôt que quelqu'un parlera du "flot du ki", vous comprendrez qu'il ne sait rien. Si vous adoptez la perspective que l'aiki est le flot du ki, vous n'irez nulle part quoi que vous fassiez.
Cette optique est étonnamment rationnelle et je dois dire que c'est une des (agréables) surprises du livre. Pas de magie ici, pas de pouvoirs surnaturels. Pas de grand kiki. Une compréhension, une révélation presque, et beaucoup, énormément de travail.
Ce n'est pas le ki ou quoi que ce soit de spirituel. Takeda sensei l'appelait Aiki no jutsu, ce qui montre bien qu'il le considérait comme une technique. Les gens disent que c'est le ki mais ça n'a rien à voir. L'aiki n'est pas mystérieux. Il est fondé sur un principe réel.
Au fait c'est quoi l'aiki? Comment ça marche?
Hélas, ce n'est pas visible ni reproductible si facilement...
Vous pouvez regarder tant que vous voulez, aiki ne peut pas être compris en regardant la forme extérieure.
Vous rendez votre adversaire impuissant par une action interne qui n'est pas visible de l'extérieur.
Il semble que la plupart des gens dans cet art essaient de copier la forme en croyant que, tant qu'ils copient la forme, ils s'entraînent correctement mais ce n'est pas du tout ça. Ce qui est vraiment important ne réside pas dans la forme mais dans quelque chose où la forme n'apparait pas.
Alors? Je vous laisse lire:
Peu importe la force que vous utilisez (…) tout ce que j'ai à faire est de bouger d'une fraction de centimètre et l'adversaire ne peut plus utiliser sa force.
L'aiki projette une personne lentement et calmement, les chutes bruyantes et flashy / spectaculaires servent à impressionner les gens de l'extérieur.
Je suis fort parce que je bouge.
Je peux identifier le point faible de l'adversaire presque immédiatement parce que j'ai complètement relaxé/relâché mon corps.
Je ne m'oppose pas à la puissance de mon adversaire. J'utilise mon pouvoir concentré à l'instant absolument critique, le reste du temps, je n'utilise aucune force.
Par l'entraînement, j'ai conditionné mon corps pour n'être influencé par aucune sorte de force.
Vous n'avez pas besoin de force, ce n'est pas nécessaire.
Le kuzushi, déséquilibrer l'adversaire, est une partie de l'Aïki, mais ce n'est pas toute l'affaire.
Il se dessine un procédé au fond très proche de ce que décrit O sensei. L'instant, le présent, agir quand il faut, concentrer l'énergie, cette énergie qui n'est pas de la force mais ce qui habite kokyu rokyu, la coupe...
Et pour finir la cerise sur le gâteau:
L'aiki est essentiellement offensif.
La défense est invariablement brisée.
On dit souvent que la meilleure défense c'est l'attaque. Dans cette affirmation il faut comprendre que vous devez être actif, ne pouvez rester passif.
Voilà une phrase qui en choquera beaucoup mais qui est complètement en accord avec l'enseignement des armes selon Saito sensei, la façon d'effectuer shomen-ikyo par O sensei dans Budo, avec ce que répétait Hikitsuchi sensei: "commencer le premier, ne pas attendre".
Sans confondre prendre l'initiative avec agressivité, sans confondre offensive avec violence, il est temps de rompre avec ce qu'on nous rabâche depuis quarante ans en aikido dans un magma new-age parfumé à la non-violence: l'aikido n'est pas une défense.
Prochaine partie: l'entraînement, shogyu.
L'entraînement (et non la pratique) et l'entraînement encore et toujours car selon Sagawa sensei:
Même en s'entraînant il est difficile de comprendre aiki alors il n'y a aucune possibilité pour quelqu'un de le comprendre sans s'entrainer...