3 mars 2012
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La traduction de ces textes est un travail assez long que je réalise quand j'ai le temps aussi le rythme est assez lent. La (re) parution récente de cet article dans Aikido Journal fournit le bon moment pour ce 3ème volet.
Le premier article ici, le deuxième et les originaux ici.
Les commentaires sur le texte sont à la fin mais je glisse au passage deux trois remarques à la volée qui n'ont pas plus d'importance que cela mais méritent d'être formulées, ne serait-ce que par mauvais esprit .
***
(a) Morihei Ueshiba ne fit aucune tentative pour «enseigner» les connaissances et les compétences qu'il possédait à ses deshi.
(b) Ces derniers ont tous acquis des connaissances profondes et des compétences pendant leur temps comme deshi, mais il est loin d'être clair qu'ils aient acquis tout le savoir possible ou que tous aient acquis les mêmes connaissances.
(c) Morihei Ueshiba semble n’avoir fait aucune tentative spécifique pour vérifier si ses deshi avait compris ce qu'ils avaient appris de lui.
Dans le dernier article, j'avais étudié la première proposition du point de vue de Morihei Ueshiba en tant que professeur et discuté de la question de savoir comment, en tant que Japonais ayant vécu pendant les ères Taisho et Showa, il pouvait considérer ce rôle. Morihei Ueshiba n'était pas seulement un professeur, ou un Maître, il était aussi la Source de l'aïkido et se perfectionnait lui-même constamment en tant que Source. (Ici, nous pouvons temporairement oublier l'importance cruciale de Sokaku Takeda et du Daito ryu, sauf pour noter la façon dont il prit ses distances avec Takeda et modifia cet héritage). Plus spécifiquement, j'avais nettement distingué entre (a) le Maître en tant que chercheur, acharné à accroitre sa propre compréhension ou la possession de l'art qu'il est en train de créer et (b) le Maître en tant que Professeur, ou transmetteur de son art à d'autres, soit en tant qu'expression "publique" et en évolution de l'entraînement "privé" d'un individu, soit en tant que "produit fini", façonné en un art reconnaissable et nommé aïkido.
On pourrait ici objecter qu'enseigner et apprendre ne sont pas deux choses distinctes et que de nombreux jeunes pratiquants ont observé que ce n'est que lorsqu'ils ont commencé à enseigner qu'ils ont commencé à comprendre ce qu'ils faisaient. C'est peut-être vrai mais cette observation semble être une conception "occidentale" de l'enseignement avec des explications structurées, un programme, etc. Cette observation signifierait aussi qu'apprendre l'art en détails nécessiterait d'enseigner l'art aux autres de façon séparée [de la pratique]. Clairement cette objection assume aussi qu'enseigner n'est pas le miroir d'apprendre mais une activité complètement différente, avec ses principes internes et ses stratégies. Cependant les exemples de l'apprentissage de l'ingénierie, de la médecine, des langues et de la philosophie, étudiés dans le premier article, montrent qu'au Japon, il n'est pas intuitivement évident que comprendre un art implique d'avoir à l'enseigner à d'autres.
(D'ailleurs pas plus au Japon qu'ailleurs tant il est vrai que la simple expertise ne permet pas de la transmettre automatiquement, les meilleurs entraîneurs ont souvent été des joueurs moyens et les meilleurs champions sont souvent de mauvais profs... La pédagogie est un art, une compétence en tant que telle - tout le monde a fait l'expérience d'un prof "génial", de quelques bons et d'un grand nombre de "moyens" pour rester charitable).
Je crois que pour Morihei Ueshiba, très certainement, enseigner et apprendre ne pouvaient si facilement être séparés mais ce n'est pas parce que ces deux activités étaient différentes. Je crois plutôt que c'est parce qu'il respectait le modèle traditionnel japonais et qu'il considérait enseigner et apprendre comme des miroirs réciproques, comme les deux côtés d'une même pièce. Ueshiba considérait l'entraînement - effectué de façon correcte bien sûr - comme la pratique de l'art mais il voyait aussi l'enseignement, si tant est qu'il le "voyait / distinguait " purement et simplement, comme une autre façon de "faire / pratiquer", à savoir être un modèle pour ses étudiants (d'où la signification du terme de shihan en Japonais) [modèle]. Ainsi, il aurait pu modifier la célèbre phrase de George Bernard Shaw, "ceux qui peuvent font, ceux qui ne peuvent pas enseignent" pour dire "ceux qui peuvent font, ceux qui font enseignent".
Je crois que les deux termes de cette distinction effectuée dans le précédent paragraphe réapparaitront encore et encore lorsque nous considérerons Morihei Ueshiba du point de vue de ses deshi. (Quelques précisions de vocabulaire: dans la suite j'utilise de façon assez interchangeable les termes de deshi et uchi deshi. Un deshi est un étudiant de l'art impliqué tandis qu'un uchi manifeste son implication de façon plus flagrante en vivant 24 h sur 24 au contact du Maître. Il s'agit ici de se concentrer sur le Maitre en tant que modèle d'entraînement constant. C'est un engagement profond pour le Maître et son ou ses étudiants. Dans les interviews, une distinction importante est faite entre ceux qui étaient uchi deshi et ceux qui ne l'étaient pas). Bien sûr l'engagement est important pour le maître comme pour l'élève. Dans les entretiens une distinction importante est parfois effectuée entre les uchi deshi et les autres. Le matériel d'étude est ici la collection d'entretiens réalisés au fil du temps par Stanley Pranin, publiés en japonais entre 1990 et 1995 et publiée en deux volumes en 2006 dans une édition corrigée, révisée. Une série d'entretiens avec les deshi d'avant guerre publiée pour la première fois en 1993 qui est un des livres les plus importants jamais publié en anglais.Tous ces entretiens avec les deshis d'avant et d'après guerre sont disséminés dans Aiki news et Aïkido journal magazine mais l'intérêt de les avoir regroupés est de permettre de mieux considérer l'énorme différence d'approche, d'attitudes et d'accomplissements (succès / réussite).
Je me suis limité à la version anglaise, Aïkido Masters, que j'ai pris la liberté de citer fréquemment. La version anglaise est plus limitée que l'édition japonaise en deux volumes. Mais elle est plus facilement accessible aux pratiquants en dehors du Japon et tous ceux qui ne lisent pas le japonais. Il existe des différences intéressantes entre la traduction et l'original mais ces différences ne retirent rien a l'ipmortance fondamentale du travail de pionnier de Stanley Pranin. Il est essentiel d'étudier ces entretiens et ceux qui le peuvent devraient les lire en japonais car la traduction ne peut rendre compte de certaines nuances de langage.
Un autre point sur lequel je voudrais attirer l'attention tient aux limites mêmes du principe de l'entretien (interview). J'insiste bien sur le fait que je ne veux en rien diminuer l'œuvre de Stanley Pranin. Les entretiens permettent aux interviewés de parler librement de leur expérience mais il n'est pas possible de vérifier la teneur ou l'exactitude des affirmations. Il nous faut donc faire confiance à la bonne foi du couple intervieweur / interviewé. Bien sûr, nous assumons ici que personne n'a exprimé volontairement des contre vérités mais nous devons aussi assumer que la vérité ait pu être redressée / tordue (slanted) en fonction des intentions informulées des uns et des autres. Ceci est difficile à dire mais il faut le faire. En dehors de ces limitations, les interviews ont bien sur fourni une information détaillée sur la façon dont les uchi deshi du kodokan voyaient Morihei Ueshiba et l'entraînement en aïkido.
Ceux-ci acquirent technique et connaissance mais il est loin d'être clair qu'ils aient acquis toute la connaissance ou que tous aient acquis la même.
Au regard de la vaste documentation recueillie par Stanley pranin cette remarque ne devrait pas surprendre mais je pense que cela implique des conséquences importantes pour l'aïkido en tant qu'art.
La vie d'un Deshi
Le premier point à relever est que les uchi-deshi d'avant guerre qui sont venus à Morihei Ueshiba possédaient déjà une expérience importante dans d'autres arts martiaux japonais. Ils acquirent cette expérience avant de devenir deshi ou pendant leur temps de deshi, ou les deux. Bien sur certains étaient trop jeunes pour posséder une compétence autre que savoir effectuer des chutes de judo mais cette inexpérience était équilibrée par l'expertise des autres en ken jutsu ou des jutsu traditionnels. Ils intégrèrent le dojo et l'inexpérience des uns se frotta à l'expérience des autres.
Gozo Shioda (Aikido Masters , p.174) note qu'il eut initialement des doutes sur l'efficacité de l'aïkido: "quand je vis ce que O sensei faisait, j'ai douté qu'il fut vraiment fort. Comme j'étais son élève, j'étais toujours projeté. Je ne pensais pas qu'il était fort et que l'aïkido était plus que cela."
Cependant la réponse de Shioda ne fut pas de tester Morihei Ueshiba pendant l'entraînement, contrairement à ce que l'on aurait pu attendre, compte tenu des habitudes dans les dojos à cette époque mais d'étudier du jujutsu et du bo-jutsu - dans un autre dojo. Il alla ainsi au dojo de Takaji Shimizu, le 25ème soke du shindo Muso-ryu jojutsu, également expert d'autres armes. Shioda ajoute qu'il prit confiance dans l'efficacité de l'aïkido lorsqu'il projeta Shinzu avec le "kokyu" plutôt qu'avec le jujutsu.
Ainsi les deshi amenèrent une grande variété de vécus, de connaissances, d'expertises et d'attitudes dans les arts martiaux. Dans ces rencontres un double processus avait lieu:
1. Les deshis tentaient de saisir ce que faisait Ueshiba et la différence avec ce qu'ils pratiquaient auparavant, ce qu'ils avaient précédemment appris.
2. Lorsque un groupe se constituait ils apprenaient entre eux.
Même ainsi, les interviews dévoilent une bonne dose de perplexité vis à vis du waza que montrait Ueshiba à ses deshis et des explications qu'il leur donnait. D'une certaine façon Ueshiba proposait deux visages: celui de l'Autre vers qui tendre sans l'atteindre et le canal essentiel de leur propre entraînement. Il était le miroir - Shioda parfois avait le sentiment que Ueshiba était aussi comme le kami derrière le miroir - et ainsi le moyen de développer et polir leur propre reflet dans le miroir.
Le deuxième point est que l'on ne peut que conclure que les résultats techniques, intellectuels et spirituels varièrent aussi beaucoup en termes de savoir et d'habileté. Ils devaient sans doute dépasser de loin les non deshis comme le suggére Shigemi Yonekawa lorsqu'il décrit la vie du dojo (p123):" la vie alors était assez stricte. Le matin pratique de six à sept et de neuf à onze. Dans l'après-midi de deux à quatre et le soir de six à sept (soit six heures par jour). C'était dur. J'avais le souffle court toute la journée. Vous ne pouviez pas recevoir directement un enseignement de sensei au début. C'était une méthode d'enseignement sévère. En plus, Sensei vous regardait avec ses yeux perçants. Cela me faisait toujours peur. Un jour j'ai raté une chute ou quelque chose comme ça et sensei me hurla dessus au milieu du dojo. Il arrêta l'entraînement alors même que beaucoup de gens étaient venus et retourna dans sa pièce. Je me suis retrouvé là à me demander ce qui s'était passé et à me demander si j'allais être renvoyé du dojo.
Une autre chose sur laquelle Sensei insistait toujours était que vous ne deviez pas être distrait ou laisser des ouvertures. C'est ainsi que vivaient autrefois les samouraïs. Ils avaient appris à maintenir une attitude mentale qui leur permettait d'affronter un ennemi n'importe quand. C'est comme cela que vivait Ueshiba sensei au quotidien, même lorsqu'il mangeait ou qu'il dormait. Par exemple même dans le hall d'entrée, quelqu'un peut venir de n'importe quelle direction. Vous ne pouvez pas être inattentif. Même en parlant au téléphone quand quelqu' un vient dans votre dos, vous devez avoir des yeux derrière la tête de sorte que vous ne soyiez pas pris au dépourvu. C'est ainsi qu'il nous enseignait.
Le troisième point est que aucun des deshis d'avant guerre n'a jamais considéré s'être approché du niveau de compétence atteint par Morihei Ueshiba. Gozo Shioda parle de Ueshiba comme possédé par les kamis et un des moments les plus poignants de l'entretien avec Shigemi Yonekawa est lorsqu'il semble avoir renoncé en raison d'un énorme blocage mental" qu'il explique page 143-144: " je crois que c'est en décembre 1936 que j'ai quitté le dojo. Je suis allé en Mandchourie car j'avais des doutes à proos de l'aiki-budo. J'entends par doute le fait que je ne parvenais pas à saisir l'essence de l'art et je me sentais un peu perdu. Mes doutes concernaient les aspects techniques et spirituels. J'étais perplexe sur ce que je pouvais faire pour progresser ne serait-ce qu'un peu. Je me heurtais à un mur. je crois que tout le monde fait cette expérience parfois."
Un point intéressant ici est que Shigemi Yonekawa quitta le dojo pour des raisons "familiales" et partit pour la Mandchourie mais ceci est clairement un tatemae (une façade). Yonekawa reconnait avec Stanley Pranin que le départ du Kobukan n'avait rien à voir avec un doute sur le waza de Morihei Ueshiba: "Il y avait un pouvoir mystérieux et infini chez Ueshiba sensei, encore que le mot de pouvoir, de puissance est trompeur. Il y a des niveaux variables selon les gens. Le niveau de Ueshiba sensei est différent. Il possédait ce genre de pouvoir qui pousse naturellement les gens à courber la tête quand on se tenait devant lui. Comment développe t-on ce genre de choses? Je ne comprends pas ce niveau d'entrainement".
Voilà le jugement de celui qui tint le rôle d'uke dans les archives photos du dojo Noma. Shigemi Yonekawa entre au dojo Kobukan en 1932 et le quitte en 1936. A peine le temps pour un pratiquant moyen pour passer le shodan de nos jours. Quoi qu'il en soit, son niveau semble bien plus que moyen et il était assez brillant pour servir d'uke pour les clichés du dojo Noma, pourtant il abandonne parce qu'il sent qu'il n'a pas de notion de progression dans son entraînement qui lui permette de faire ce qu'il faut pour commencer à ressembler à O sensei.
Encore que cela ne soit pas pertinent dans une discussion sur les stratégies d'apprentissage, il faut asussi noter ici que rien dans l'entretien ne suggère que Morihei Ueshiba ait été conscient de ces soucis ou ait entrepris la moindre démarche pour soulager son problème. Yonekawa part pour "raisons familiales" et voilà tout. Je crois qu'il faut réfléchir sur ce fait quelque peu.
Le quatrième point, lié au second, sont ces références, dispersées un peu partout dans les entretiens à l'entrainement des non deshis au Kobukan ou aux autres endroits visités par Morihei Ueshiba. En fait le seul entraînement exclusivement destiné à des deshis semble avoir été celui de l'Omoto kyo à Takeda. Beaucoup a été dit sur les sévères restrictions à l'entrée du dojo Ueshiba (deux parrainages et / ou la permission de l'amiral Takeshita) ainsi que sur l'entraînement sévère d'un uchi deshi mais rien sur les conditions réservées aux non deshis. Rien n'est dit de leur entraînement sinon que c'était les deshis qui leur faisaient cours. Devaient-ils soutenir une vigilance constante 24 h sur 24 aux attaques par derriere? Si non, quel était le contenu de cet aiki budo "light" au Kobukan? Malheureusement il n'existe pas d'interviews de pratiquants de l'Omoto kyo ou des soldats qui connurent MU dans les différentes écoles militaires ou il enseignait. Tout ce dont nous disposons ce sont les interviews des deshis et nous pourrions assumer que l'entraînement de la masse était similaire mais moins intense que l'entrainement des deshis. Je reviendrai sur ce point, fondamental pour l'entrainement d'AIkido tel que nous le concevons aujourd'hui, dans un prochain article.
Une des conclusions que nous pouvons tirer de ces interviews est qu'il est trop tôt pour conclure que l'entrainement du début des années Kodokan était comme une étoffe sans couture visible, au sens ou comme nous aimons le penser de nos jours, d'un produit fini, d'un art formulé et reconnaissable. Je pense que cela est du aux aspects extrêmement personnels de la relation maitre/deshi, la tendance à la fragmentation, inscrite des l'origine et qui était la consequence de l'architecture meme des rapports entre Morihei Ueshiba et ses deshis.
Le fait que l'Aikido ait continué sous la forme d'un tissu avec très peu de coutures apparentes par opposition à d'autres arts martiaux est à imputer à de tout autres facteurs. Ceci est un sujet très important sur lequel je reviendrai plus tard.
L'art d'apprendre.
Un point commun très frappant à la lecture des interviews de ces maitres d'Aikido est à mon avis, l'absence complète d'évocation de stratégies d'apprentissage de la part de ces deshis. On relève parfois quelques mots sur la façon qu'avait Ueshiba de structurer ses cours - ou plutôt de ne pas les structurer - mais rien sur la façon qu'avaient ces deshis de comprendre ce que Morihei Ueshiba leur montrait.
Dans le premier article je suggérais un "paradigme" d'apprentissage plausible:
(1) L’Aïkido est un budo qui peut être pleinement enseigné et entièrement appris (dans le sens où il est possible pour les deshi d'acquérir toutes les compétences du maître)
(2) L'aïkido est un budo qui doit être enseigné et appris de façon systématique dans l'enseignement et l'apprentissage des stratégies.
(3) Même si l'enseignant est d'une importance cruciale dans ce processus, c'est la maîtrise de l'enseignement et des stratégies d'apprentissage de la part de l' étudiant qui finira par déterminer si les connaissances et les compétences peuvent être ou ont été ou sont en cours d'acquisition
(2) L'aïkido est un budo qui doit être enseigné et appris de façon systématique dans l'enseignement et l'apprentissage des stratégies.
(3) Même si l'enseignant est d'une importance cruciale dans ce processus, c'est la maîtrise de l'enseignement et des stratégies d'apprentissage de la part de l' étudiant qui finira par déterminer si les connaissances et les compétences peuvent être ou ont été ou sont en cours d'acquisition
Ce paradigme irait de soi dans un contexte pédagogique occidental mais dans le cas des deshis, il semble très peu évident que les deshis aient en fait pensé en ces termes. Par exemple, en réponse à une question sur sa conception de l'enseignement, Noriaki Inoue tient un long discours sur la pure qualité de l'entraînement, impliquant sueur et riz (pp.36-37). Shigemi Yonekawa (pp. 124-125) est plus explicite et voit une connection entre enseigner et apprendre. Mr Yonekawa cite un vieux proverbe japonais: "enseigner est la moitié d'apprendre". Son explication est qu'enseigner à quelqu'un implique de maitriser correctement la matière dans "la tête" et dans le corps. Autrement, on ne peut enseigner. Ainsi les deshis manquaient de confiance en eux pour enseigner aux "externes" (les non deshis) ce qu'ils avaient appris de Morihei Ueshiba mais ceci est du à un manque de maîtrise du waza plus qu'un manque explicite de stratégies d'enseignement. Car il n'y a avait aucune stratégie en dehors de la réptition constante du waza.
Rétrospectivement, on peut regretter que Stanley Pranin n'ait pas poussé plus loin et demandé à M.Yonekawa d'expliquer davantage ce qu'il voulait dire. La traduction en anglais (Aikido Masters, p.124) se lit ainsi: «Il ya un proverbe japonais selon lequel « l'enseignement est la moitié de l'apprentissage. " "Vous ne pouvez pas accomplir la moitié de l'apprentissage ou d'enseigner les gens si vous ne maîtrisez pas le matériel mentalement et physiquement. " Notons ici que la maîtrise correcte du matériau est la maîtrise par l'enseignant, et non par l'étudiant. Notons également que la stratégie de l'enseignement, telle qu'elle était, semble avoir été: si vous ne comprenez pas ce que Sensei a montré ou dit, répétez ce que vous pensez qu'il a montré, mais aussi «intensément» que possible. Je pense qu'il y a ici un problème fondamental lié à des discussions récentes sur Aikiweb sur l'entraînement «interne».
Je pense que la question ici est liée aux métaphores que vous utilisez pour conceptualiser votre entraînement personnel et de lui donner sens pour vous en tant qu'individu. La question concerne aussi bien les stratégies utilisées pour maîtriser le waza, ou kata, et les stratégies utilisées pour maîtriser les aspects 'cachés', comme ceux que M.Akuzawa dévoile quand il «absorbe» des coups de poing simplement et renvoie tout de suite l'énergie «à travers» son attaquant.
Noriaki Inoue mentionne un épisode impliquant Mitsujiro Ishii, de la société journal Asahi, qui était 6e dan en judo (p.33-34): «Un jour, je l'ai trouvé plongé dans ses pensées. Quand je lui ai demandé ce qu'il pensait, il répondit: «Je me demandais pourquoi je ne pouvais pas projeter un petit homme comme vous, Sensei! Normalement, il est facile de projeter quelqu'un de petit. Mais si j'essaie de vous lever, vous semblez lourd. Je me demande pourquoi. "J'ai dit que ce n'était pas moi qui était lourd, mais plutôt lui qui était relativement plus léger. Il ne comprit pas ce que je voulais dire.
Comme je vous le disais plus tôt, une pierre pesant plusieurs milliers de kilos est extrêmement lourde. Mais bien que la pierre est lourde par en dessous, il est facile de la manipuler par le haut. Je suis fermement ancré, attaché à la terre. Vous pouvez me pousser vers le bas par ma tête, mais sinon il est impossible de me projeter. Il ne comprenait pas cela. J'ai alors pensé que des gens formidables comprennent peut-être les mécanismes qu'ils apprennent à l'école, mais ils ne comprennent pas grand chose à la réalité de la mécanique de l'univers. "
Noriaki Inoue parle d'être« fermement ancré »et de la mécanique de l'univers, mais ses propos sont clairement des métaphores. A la lecture de l'interview, nous ne sommes pas plus avancés pour comprendre plus précisément comment Inoue était «fermement ancré» (autre que celui de son partenaire d'entraînement ne pouvait pas le déplacer) et comment sa compréhension de la mécanique de l'univers était supérieure à celle de son partenaire .
Plutôt que de parler de stratégies d'enseignement pour permettre au deshi de transmettre la compréhension des techniques, Shigemi Yonekawa, Rinjiro Shirata et autres deshi soulignent tous que les principales différences entre les uchideshi et les «outsiders» résidait dans l'intensité de l'entraînement
Shigemi Yonekawa exprime l'opinion suivante (p. 124): «Il y avait aucune distinction faite entre les uchideshi et les gens venus de l'extérieur. Toutefois, comme uchideshi, en contraste avec les gens de l'extérieur, nous pratiquions les techniques qui nous étaient enseignées maintes et maintes fois. Nous répétions les techniques sans cesse et nous étions projetés par Sensei. C'était là la différence. En outre, nous nous entraînions avec beaucoup de gens de l'extérieur sous la direction de Sensei. Il serait inexact de dire que nous aidions à leur enseigner. Nous nous sommes entraînés avec eux. C'était l'une des raisons pour lesquelles les uchi deshi progressaient rapidement "
Rinjiro Shirata partage ce point de vue (p.155):".. Il n'y avait pas de formation particulière pour les uchi deshi. S'il y en eut une, ce fut au cours de la période de Budo Senyokai à Takeda. Dans ce dojo, il y avait seulement des gens qui se sont entraînés dur comme les uchideshi le faisaient. Il n'y avait pas de classes spéciales exclusivement pour les uchi deshi. La façon d'apprendre à cette époque était un peu différente de la méthode actuelle. Je pense que vous pourriez dire que les anciens ont appris chaque technique sérieusement, une par une. Bien que les gens d'aujourd'hui apprennent avec ardeur et sérieux, à notre époque Ueshiba Sensei n'enseignait pas systématiquement. Tout en apprenant nous devions systématiser chaque technique dans nos esprits et c'était assez difficile".
"Gozo Shioda suggère même que cette formation serait inacceptable de nos jours (p. 175):"... Autrefois, il semblait qu'il (Morihei Ueshiba) agissait comme un medium pour les kami plutôt qu'en tant que professeur. Quand nous nous entraînions, Ueshiba Sensei nous faisait sentir les choses directement plutôt que de nous enseigner. Il ne donnait pas d'explications détaillées pour nous dire, par exemple, "tournez à quarante-cinq degrés", comme nous le faisons aujourd'hui. C'est pourquoi à l'époque, nous avions à étudier des choses par nous-mêmes. Il disait juste "C'est bon, c'est bon", ou "apprenez-vous pour vous-mêmes. C'était le système d'apprentissage à l'ancienne.
Je suppose que les gens de nos jours ne seraient pas satisfaits de cela, mais nous on ne nous enseignait pas systématiquement. Sensei agissait selon ses sentiments et les conditions du moment, il n'y avait aucun lien entre hier et aujourd'hui. C'était l'ancienne méthode de l'enseignement. Nous absorbions ce que nous apprenions et nous le systématisions. Nous devions penser les choses par nous-mêmes. Moi aussi, j'ai construit sur la base que j'ai acquise sur une longue période avec Ueshiba. Et je continue d'élaborer à partir de ce que j'ai pu rassembler. Aujourd'hui on ne peut pas enseigner comme d'Ueshiba Sensei. Je pense que c'est difficile."
"Yoshio Sugino souligne l'importance de« voler » les techniques (p. 206):« Ueshiba Sensei, contrairement aux instructeurs présents à l'Aikikai Hombu Dojo, enseignait les techniques par le mouvement en le montrant rapidement une seule fois. Il ne donnait pas d'explications détaillées. Même lorsque nous lui demandions de nous montrer la technique à nouveau, il disait: «Non, technique suivante!" Alors qu'il nous montrait trois ou quatre techniques différentes, nous voulions voir la même technique à plusieurs reprises. Nous avons fini par essayer de «voler» ses techniques ".
M. Sugino note ensuite que Minoru Mochizuki était très bon pour imiter ce que Morihei Ueshiba montrait. Comme Morihei Ueshiba lui-même, Mochizuki était capable de reproduire les techniques après les avoir vues une seule fois et c'est ce que M. Sugino considère comme l'archétype du processus d'apprentissage.
Ainsi M. Sugino note que:. "... En d'autres termes, imiter est la même chose que voler. Vous regardez les techniques de votre sensei avec votre esprit et votre cerveau. C'est ce que je veux dire par "voler" les techniques de votre sensei. Aujourd'hui, les gens sont très lents à apprendre, même lorsque les enseignants expliquent. Ils sont trop désinvoltes avec ce genre de chose. Les gens dans les jours anciens étaient très sérieux."
"Zenzaburo Akazawa mentionne brièvement la question de l'auto-formation (p. 261):«. Il (Morihei Ueshiba) disait: «Bon...», et montrait une technique. Voilà tout. Il n'enseignait jamais dans le détail en disant: «Mettez la force ici,» ou «Poussez maintenant sur ce point": Il n'utilisait jamais cette façon d'enseigner. O Sensei n'enseignait pas comment devenir fort ou des choses comme ça. Ce n'est pas parce qu'il s'inquiétait que les élèves essayaient de devenir plus forts que lui. Il n'existe pas de raccourci. Si vous voulez être fort, vous devez vous avoir cette idée fixe et vous pousser dans cet état connu sous le nom muga no kyouchi qui est le royaume du non-soi. "
Encore une fois, il aurait été utile pour nous former de nos jours d'avoir eu plus d'explication ici sur précisément ce que veut dire être fort. Il me semble qu'il existe des parallèles avec la formation plus tarde entreprise que plus tard par des deshi comme Koichi Tohei et Hiroshi Tada avec le Tempukai.
Enfin, Shigemi Yonekawa tente d'expliquer pourquoi la relation entre un uchideshi et l'enseignant ne peut pas être systématisée (p. 126): "Il est très superficiel de penser que lorsque vous devenez un uchideshi vous progressez rapidement en technique, parce que vous pouvez pratiquer plusieurs heures par jour ... Je pense qu'il ya un chemin ou michi dans ces formes (à savoir, les gestes de l'arrangement floral ou la cérémonie du thé) et qu'il se manifeste dans la cérémonie du thé ou l'arrangement des fleurs. C'est une chose extrêmement difficile. Je crois que c'est une question de compréhension pour vous-même des choses que le professeur n'enseigne pas, plutôt que d'apprendre de votre enseignant à faire quelque chose de spécifique . "
Une forte impression qui se dégage dans l'étude de ces entretiens est un puissant sentiment de nostalgie. Beaucoup de ces uchi-deshi repensent à cette époque comme une sorte d'Age d'Or, quand les artistes martiaux célèbres étaient tous des héros et les deshi étaient tous rassemblés autour de Morihei Ueshiba dans le Kobukan.
Ils sont fortement conscients des différences entre cet âge d'or et le «présent» état de l'Aïkido comme ils le comprennent. Une conséquence possible de ce sentiment est que certains d'entre eux ont abandonné complètement abandonné la pratique à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un lien très personnel, forgé pour certains uchi-deshi dans un temps relativement court, mais avec un seul homme, fut brisé et la rupture fut considérée comme irréparable.
Pourquoi ces entretiens ne dévoilent-ils aucune stratégie d'enseignement? Je pense que cela est lié à la tendance culturelle (à défaut d'un meilleur terme) qui consiste à se concentrer sur le processus d'apprentissage de la personne, qui incarne les compétences souhaitées, plutôt que sur les compétences elles-mêmes. Ayant vécu au Japon depuis si longtemps, la raison me semble plus claire qu'elle ne pourrait l'être pour des étudiants d'autres pays. Je pense que cette tendance culturelle explique pourquoi le système sempai / kohai fleurit toujours dans le Japon moderne. Ce système est un paradigme très traditionnel d'enseignement / apprentissage et correspond bien au rôle plus distant de shihan en tant que modèle. À certains égards, ce paradigme traditionnel structurée verticalement n'a pas beaucoup changé depuis Morihei Ueshiba.
Avril est le vrai début de la nouvelle année au Japon et je suis maintenant face à des classes d'étudiants de première année qui tentent de donner un sens à ce que "Goldsbury Sensei» (ou un des divers surnoms que je reçois) fait dans son cours de philosophie et ses cours de langue, qui sont en fait assez différents de tout ce qu'ils ont vécu auparavant. Ils ont reçu un bon enseignement de leurs enseignants du secondaire et de leurs sempai, de sorte qu'ils ont réussi à entrer dans une université de premier rang comme l'Université de Hiroshima. Pour faire face aux nouveaux défis posés par les cours du Dr Goldsbury, ils vont généralement recourir aux mêmes méthodes et demander à leur sempai, en particulier le sempai qui a suivi mes cours l'an dernier. Ils s'adressent rarement à Goldsbury lui-même. Ces sempai, cependant, ne tenteront pas d'expliquer comment apprendre ce que j'enseigne. Ils ne vont pas prendre un peu de distance et essayer d'expliquer les principes qui se sous tendent les activités du cours. Non. Si ils ont gardé le matériel de mes classes précédentes ils donneront les réponses. Comme je me répète rarement d'une année sur l'autre ces explications seront assez inutiles.
J'ai rencontré le même genre de problème il y a quelques années. J'avais repris un étudiant sur son anglais et il me répondit qu'il avait appris ces formes grammaticales (incorrectes) avec un sempai, qui lui avait appris beaucoup plus que ses professeurs. Il était clairement déchiré entre devoir admettre son erreur, parce que j'étais un locuteur natif, et être fidèle à son sempai. Un paradigme d'apprentissage plus socratique, basée sur l'importance de l'interrogatoire, n'a pas sa place avec un sempai et se concentre exclusivement sur les compétences elles-mêmes, plutôt que sur la personne qui incarne ces compétences. Encore une fois, je reviendrai sur ce point dans l'avenir.
(A moins que l'explication par le sempai soit utilisée pour cacher son propre embarras et expliquer à demi mot que ses professeurs d'Anglais étaient nuls, quand on a vécu un en Asie, le terme pidgin prend tout son sens...).
c. Morihei Ueshiba semble n'avoir fait aucune tentative pour vérifier s'ils avaient compris ce qu'ils avaient appris de lui.
Puisque cet article est déjà assez long, je vais reporter la discussion de ce point. Cependant, je pense que la vérité de cette proposition est une conséquence de l'enseignant en tant que Modèle et l'apprenant en tant que paradigme miroir. Outre les observations générales lors de la formation, la seule façon que semble avoir adopté Ueshiba pour vérifier la compréhension de son deshi était de le choisir ou pas en tant que uke / Otomo (porte-bagages & assistant en général) quand il enseignait ou qu'il voyageait . Je ne crois pas qu'il ait jamais envisagé la nécessité de vérifier effectivement leur compréhension et la raison en est claire. Ce n'était pas une question digne d'intérêt: s'ils avaient compris ou non serait évident dans leur entraînement.