Le blog de Christopher Li, Aikido Sangenkai commence à commence à devenir un classique de la blogosphère et pour d'excellentes raisons. En effet l'auteur apporte une réelle réflexion, des compétences certaines en traduction et une connaissance conséquente du monde dans lequel est né l'aïkido.
Il n'est pas surprenant outre mesure de voir C.Li et P. Voarino se poser à peu près les mêmes questions au même moment sur les notions de roppo, kamae, etc. Ce qui a déclenché quelques discussions passionnées sur les fora d'Aikiweb et ailleurs, moins passionnantes car trop biaisées par l'affect.
Un des intérêts du blog réside en une série d'entretiens dont celui de Isoyama, uchi deshi à Iwama.
Ces entretiens de vétérans sont fort utiles car ils recèlent des pépites au milieu des anecdotes. L'aïkido d'O sensei est devenu une affaire d'archéologues: pour retrouver le sens de ses mouvements et la nature de son entraînement, il faut parfois déchiffrer des signes devenus presque illisibles. Un grand débat par exemple agite Aikiweb et plus largement l'aikido concernant l'usage par O sensei de la "force interne" (internal power) qui semble une tentative de plus pour comprendre le mystère O sensei comme il y a un mystère Picasso. E. Amdur s'y est essayé, sans résultat probant de mon point de vue
***
N.B: C'est traduit au plus près du texte anglais quitte à écrire au marteau…
1) Were most of the techniques performed from a seated position ("shikko" / 膝行) at that time?
A: No, first we would do Tai-no-henko, I think that shikko training is something that was developed later. In terms of warm-up type exercises, perhaps there was only Funakogi-undo ("rowing exercise" / 船漕ぎ運動). Then we would begin techniques, and at the end would be finishing exercises ("shumatsu undo" / 終末運動) and Kokyu-ho.
Q. Est-ce la plupart des techniques étaient alors effectuées en position assise (shikko)?
R. Non, d'abord nous faisions Tai no henka, je pense que l'entraînement en shikko est quelque chose qui fut développé plus tard, ultérieurement. En termes d'échauffement, il y avait peut -être Funakogi-undo ("rowing exercise" / 船漕ぎ運動). Ensuite nous commencions les techniques et à la fin il y avait les exercices pour finir ("shumatsu undo" / 終末運動) et Kokyu-ho.
Une confirmation de plus que tai no henka est la base, le centre, le principe même de l'aïkido. Il semble qu'il n'y ait pas eu de ce point de vue de coupure technique franche entre Tokyo et la periode Iwama, plutôt une continuité.
J'aime beaucoup cette absence d'échauffement au profit d'une sorte de mise en condition avec Funakogi. Quand au travail en suwari waza, on ne devrait le pratiquer que si le corps y est adapté (Cf. les réflexions de G.Homma sur le sujet, amusantes et édifiantes).
2 Q: How were the techniques named at the time?
A: "Kyo" wasn't used yet, we said things like "Ikkajo" (一ヶ条) and "Nikajo" (二ヶ条). I think that the first time names like "Ikkyo" (一教) and "Nikyo" (二教) were used was when they were used in the first book "Aikido" that was published by Kisshomaru sensei.
Q. Comment étaient nommées les techniques à l'époque?
R. "Kyo" n'était pas encore utilisé, nous disions des choses comme "Ikkajo" (一ヶ条) and "Nikajo" (二ヶ条). Je pense que la première fois que les noms "Ikkyo" (一教) et "Nikyo" (二教) furent utilisés fut lorsqu'ils furent utilisés dans le premier livre "Aikido" qui fut publié par Kisshomaru sensei.
Passionnant pas vrai?
Cela cadre tellement bien avec les kajos que ça en devient amusant. Kyo ou kajo?
3 Q: What did the Founder do for his own personal training?
A: When training alone he would do sword cuts. He would often go shirtless in the summer, but in order to keep his abdomen from becoming chilled he would wear a "haragake" (a Japanese style workman's apron) like Kintarō and swing a thick iron staff ("tetsubo" / 鉄棒).
Q. Que faisait le Fondateur pour son entraînement personnel?
R. Quand il s'entraînait seul, il effectuait des coupes de sabre. Souvent il était torse nu en été mais pour éviter de prendre froid à l'abdomen, il portait un "haragake" (un tablier de femme) comme Kintrao et balançait une épaisse barre de fer.
4. Q: An iron staff?
A: He'd use various things, but I was told, "It's important to stop firmly each time". It's also important to go quickly, but I was told to first "connect navel to navel" by cutting down to the opponent's navel each time.
Q. Une barre de fer ?
R. Il utilisait diverses choses mais il me fut dit "c'est important de s'arrêter fermement à chaque fois". C'est également important de d'aller vite mais je dus d'abord "connecter de nombril à nombril" en coupant le nombril de l'adversaire à chaque fois.
Une barre de fer. CF. Google, c'est grosso modo une masse d'armes. Un furibo.
Il va de soi qu'il ne peut pas s'agir de musculation classique, le but n'est pas de faire du muscle puisque la charge maximale n'est pas suffisante pour créer du volume musculaire. Si l'on voulait faire de la viande, on augmenterait les charges, ce qui n'est pas le cas (il s'agit vraiment d'autre chose).
Il ne s'agit pas d'un entraînement nécessairement "dur" même s'il tend à former le caractère et le corps. Sagawa, au détour d'une phrase le mentionne comme un exercice central de son entraînement. 300 000 suburi par an, c'est à peu près mille par jour, ce qui est une base très correcte au suburito, carrément honorable au furibo.
5) Q: "Connect navel to navel"?
A: Meaning that the end of the hilt is facing your own navel, and the tip is towards your partner's navel. This develops a firm match between the line of the sword and the center of the body. O-Sensei would become very angry if we crossed swords like they do in the Samurai movies ("chanbara").
Yes, he'd say, "It's not really that kind of 'chanbara'. Engage them first with your body, not just your hands.". When you got used to it you'd find yourself moving the sword with just your hands and running away, but that was no good - you wouldn't be able to execute a proper Irimi. Connecting with your partner, engaging with the body and entering is the real Irimi. Today most people don't even pay attention while they're doing it, but in times past I think that Irimi was serious enough to be called the secret of Budo.
Q. "Connecter de nombril à nombril"?
R; Cela veut dire que la poignée est en face de votre nombril et que la pointe est face au nombril de l'adversaire. Cela développe une correspondance forte entre la ligne du sabre et le centre du corps. O sensei se mettait en colère si nos croisions les sabres comme dans les films de samourai ("chanbara")
Il disait: "ce n'est pas ce type de "chanbara. Affrontez les avec votre corps, pas seulement vos mains". Si vous en prenez cette habitude, vous vous retrouvez à couper avec vos mains et à vous enfuir mais ce n'était pas bon - vous devenez incapable d'effectuer un irimi correct. Se connecter au partenaire, engager votre corps et entrer, ça c'est le véritable irimi. De nos jours, les gens ne font même pas attention quand ils le font mais dans le temps, je pense que irimi était une chose suffisamment sérieuse pour être appelée le secret du Budo.
7) Q: What about swinging the sword upwards?
A: It's Kokyu. You don't keep your wrists straight and lift up, you close your armpits and roll your palms inward as you lift up. More quickly than you cut down. This becomes the hands as in Kokyo-ho, and I believe that this connects with everything.
Q. Et à propos de l'armé (monter l'arme)?
R. C'est kokyu. Vous ne conservez pas vos poignets droits en soulevant, vous fermez les aisselles et vous orientez vos paumes vers l'intérieur lorsque vous vous montez. Cela donne la même forme de mains que kokyu ho et je crois que cela se connecte avec tout le reste.
... Cela se passe de commentaires. Une dernière citation, un peu moins claire peut-être.
Interview with Aikido Shihan Shigenobu Okumura, Part 1 Encountering Aikido in Manchuria
Q: Did you ever see the Founder training by himself?
A: In his later years he would train with a staff, swirling it around over his head, a form of solo Misogi. I think that this was O-Sensei's individual training.
Avez-vous vu le Fondateur en train de s'entraîner seul?
Dans ses dernières années, il s'entraînait avec un bâton en le faisant tournoyer au dessus de sa tête, une forme de misogi en solo. Je crois que c'était l'entraînement personnel de O sensei.
***
On pourrait sans doute multiplier les citations en cherchant dans les interviews. Il y a peu et beaucoup à dire sur les suburi. Au bout de quelques années, tout devient progressivement plus clair mais en parler sans avoir expérimenté ne sert pas à grand chose. Il est temps que je m'y remette d'ailleurs. Ca réchauffe en hiver ;-)